Sonotone

Disc-à-Brac

"Un magasin à la santé financière pétaradante"

par Sophie Morceau

Je suis allée faire mes adieux à la patronne de D-à-B, petit mais costaud magasin de disques lausannois. Sous l’appellation La Patronne met les voiles, une journée entière de débauche‐croissants le matin et de beuverie-mit-raclette l’après-midi était organisée, avec un monde fou toute la journée, force concerts et autant d’hommages potaches et égrillards. Eline Müller part en voyage, après de longues années de bons et loyaux services au rock lausannois et c’est non sans un pincement au cœur que je lui ai dit au revoir, (et bon voyage, dedieu!). En guise de consolation et pas des moindres, d’abord le magasin ne ferme pas, mais ensuite, Eline est remplacée par trois gaillards enthousiastes et sympathiques, que j’ai réussi à interviewer vite fait, entre le four à raclette et le bac à occazes. Triumvirat surprenant mais pas improbable, voici les quelques réponses de Philippe Henchoz, Téo Roy et Fabien Devaud.

Sonotone: La première question, c’est de vous présenter et d’expliquer ce qui vous prend de reprendre un magasin de disques.

Philippe: Salut, moi je reprends un magasin de disques parce que l’occasion se présente, d’abord. Ça a toujours été un rêve pour moi d’avoir un magasin de disques auquel je m’identifie et pas un magasin de disques de taille industrielle comme ça a été le cas par le passé. Ici, je peux m’associer avec des gars à qui ça me fait plaisir de m’associer, dans un projet viable, parce qu’on nous remet un magasin à la santé financière pétaradante.

Téo: en ce qui me concerne, j’ai longtemps travaillé dans le disque, notamment dans ce magasin-là. Mes motivations actuelles, c’est de retrouver une certaine sensation physique et émotionnelle – tout en sachant qu’il y a d’autres sensations moins agréables. Mais oui, la gestuelle, l’artistique et le relationnel, c’est des trucs qui m’ont manqué quand je ne l’avais plus. C’est ce que j’espère bien retrouver.

Fabien: Moi je viens du club de rock Le Romandie et de plein d’autres endroits en fait – (Imperial Guard Records ainsi qu’une série de jobs plus ou moins gratifiants dans le son et la prod, ndlr.). Je m’identifie complètement à ce magasin, Philippe a déjà dit l’essentiel, c’est dur de trouver encore quelque chose à dire là-dessus. Ça me fait plaisir de m’associer avec ces types-là. Fondamentalement, je ressens aussi ce besoin de parler avec les gens, le côté relationnel et l’expérience que j’ai eue du magasin en tant que client a été suffisamment importante pour que j’aie envie de le rendre à d’autres personnes, d’une certaine façon.

 

Sonotone: Qu’est-ce qui va être le plus difficile pour vous, maintenant que ce magasin est à vous ?


Philippe, Téo & Fabien en chœur: L’inertie à trois!

Téo: Le deal, maintenant qu’on se met à trois, c’est qu’on a chacun un job à côté, ce qui nous enlève une certaine épine du pied, c’est-à-dire la notion financière. Le magasin en soi ne doit pas forcément être rentable – du point de vue salarial – c’est un appoint : plus il est conséquent, mieux c’est, mais ce n’est pas trois personnes qui en dépendent financièrement, et ça nous évite une certaine pression. Par contre, au niveau organisationnel, c’est plus complexe: de nos jours, dans le disque, il faut avoir une capacité de réaction très rapide et pouvoir se positionner quasi-immédiatement. À trois, c’est peut-être un bémol, on peut le faire facilement seul – le soir t’es chez toi, tu fais vite ton truc et le lendemain c’est prêt, mais à trois tu ne peux pas.

Fabien: Typiquement aussi, savoir où tu en es dans le magaz, comment tu te situes, suivre ce qui s’y est passé. Il y a des fois où tu ne bosses pas pendant une semaine et quand tu reviens, il faut voir ce qui a changé, parce que ce n’est pas seulement une question de stock, ça ne se limite pas à vendre des disques, c’est aussi une question de sensation.

Philippe: C’est clair que ce qui me paraît être le vrai défi, c’est la communication à trois; ça sera peut-être un peu difficile à mettre en place. Mais on est assez confiants.

Fabien: Non mais d’ici Noël, on sera organisés!

Philippe: D’ici Noël, j’ai des doutes, mettons plutôt Pâques.

Fabien (rigolard): En fait, on est très basés sur les fêtes chrétiennes, tout notre calendrier est organisé là.dessus.

Philippe (pince-sans-rire): D’ailleurs, on va cesser de vendre du black métal.

 

Sonotone: À propos de ce que vous présentez au magasin, comment ça fonctionne en termes de décision, vous avez chacun vos secteurs de prédilection, quelqu’un fait les commandes pour tout le monde?


Philippe: Chacun est censé assumer les commandes qui lui sont adressées, concrètement je pense que ça va être un peu plus compliqué que ça, mais on est prêts à assumer les cinquante exemplaires d’Arcade Fire parce qu’on l’a tous commandé séparément!

Fabien: L’autre facette, c’est qu’on veut vendre des trucs qui nous font plaisir, présenter des disques à des gens qu’on ne connaît pas et être contents de les voir partir avec, parce qu’on est convaincus que ces disques sont bien, chacun dans nos registres respectifs.

Téo: Il y a deux aspects en réalité : le fonds, le back-catalogue, une sorte de tronc commun qui est lié au magasin en tant qu’entité et un aspect spécifique, où chacun a sa sensibilité, ses domaines d’affinité. Chacun va remplir ses commandes, et celui qui passe la commande finale s’assure que les paniers de chacun ont été préparés avec les sorties par lesquels on est intéressés individuellement. Tout seul, c’est pénible de monter un truc aussi complexe. À trois, ça va poser d’autres problèmes, mais la force d’un projet comme ça, c’et qu’on va pouvoir chacun défendre des styles différents. Moi je suis dans le truc plus classique, plus vieux rock US et je sais que Fabien va reprendre le pan plus orienté kids, alors que Philippe est axé sur l’ultra-indépendant. On est assez complémentaires en réalité et ça va être chic de bosser ensemble.

 

Sonotone: En gros, vous êtes contents, quoi!


Fabien: Oui, heureux, mais pas naïfs, on est conscients des difficultés à venir et prêts à les voir arriver!

 

Sonotone: Quelque chose à rajouter? Une anecdote à la noix?


Fabien: Euh, ben, 80 litres de bière aujourd’hui!

 

Sonotone: Le mot de la patronne qui part?


Eline: Ben, c’était super, vous allez être supers! Dans les conseils que j’ai à vous donner: vendre des disques, c’est bien. Plus sérieusement, vu ce qui s’est passé aujourd’hui, je pense qu’il y a plein de groupes à Lausanne, dans le coin, et que c’est toujours bien d’être coordonné avec ce qui se passe pas trop loin.

 

Sonotone: Merci et à très vite!

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