GiedRé
"C’est très important que mon décor rentre dans ma valise"
par Camille Voraporn Gosteli
Des textes crus, politiquement incorrects, teintés d'humour noir. Des thèmes comme la prostitution, la pédophilie. Elle n’est pas provocante, elle cherche à retranscrire la réalité dans ce que celle-ci a de plus choquant. GiedRé est ravissante et abjecte, angélique et diablesse, insolite et insolente; ses chansons pleines de gros mots et d’humour sont des ovnis du quotidien. Nous l’avons rencontrée lors de son passage au Lido, le 13 avril dernier – mais pour ceux qui l’auraient manquée, elle nous reviendra très vite dans le cadre de Morges sous rire le 15 juin, ainsi que le 22 juin à la Fête de la musique, à Monthey.
Sonotone: Quelle est la meilleure, la plus pertinente comparaison qu’on ait fait de toi?
Giedré: Beaucoup me flattent, mais ça on s’en fout, c’est pas très intéressant, même si c’est bon pour l’orgueil. Parfois, je me dis tiens, c’est marrant que les gens aient pensé à me comparer à Georges Brassens ou d’autres, mais en fait je trouve que ça n’a vraiment aucun intérêt qu’on me dise «ah oui, en fait t’es comme machin».
Tu parles très peu de toi. Pourquoi?
Je ne pense pas que ce soit à moi de parler de moi.
Comment est venu ton métier de chanteuse?
Il est le fruit de hasards, de rencontres qui ont croisé ma route. Je chantais dans un bistrot (un bar de mon quartier), j’étais très contente, je n’en voulais pas plus. J'ai eu la chance d'être remarquée. Et je crois que c’est simplement que si tu vis chaque moment présent à fond, c’est la seule manière d’être réceptive à tout ce qu’il t’arrive. Parce que si en étant là tu penses déjà à demain, tu vois pas ce qu’il y a autour de toi au moment où tu y es.
Tu sais jouer de plusieurs instruments, alors pourquoi te contenter de la guitare dans ta musique?
J’ai choisi la guitare, car c’est ce qui a de plus facile et simple. Tu peux en jouer partout contrairement au piano à queue qui est plus compliqué à transporter. Mais évidemment, j’ai envie de la faire évoluer…
Pourquoi évidemment?
Attention, une évolution pour moi n’est pas forcément un changement, c’est moins radical. D’autre part, on pourrait penser qu’il n’y a qu’une seule manière de faire évoluer les choses: rajouter deux ou trois musiciens (basse, batterie, guitare) pour faire comme tout le monde. Moi, mon évolution, ça peut être n’importe quoi. Par exemple, pendant trois semaines, faire de la musique avec des cuillères en bois.
Quels sont tes projets pour l’avenir?
Je préfère réfléchir déjà à ce que je fais maintenant. Je vis au jour le jour, car je peux me manger un bus dans la gueule demain. Du coup, ça n’est pas très concret de vouloir faire des projets à long terme. Pour moi l’avenir est une accumulation de tout le présent. Je ne sais pas et je ne veux pas savoir ce qu’il va m’arriver, si ça se trouve je vais me faire amputer d’une main? Et je serai obligée de trouver un instrument, qui ne se joue qu’avec une seule main, donc il faudra que j’arrête la guitare, logique!
Que penses-tu d’internet, des téléchargements? En tant qu’artiste n’est-ce pas plus difficile de gagner sa vie sans vendre de disques?
De toute façon, cela ne sert à rien de lutter contre le téléchargement illégal. La nature humaine est comme ça, si les gens peuvent avoir un truc gratuitement, ils ne paieront pas. Mais du coup, ça oblige les artistes à avoir un peu d’imagination. Quand je fais des albums, je fais en sorte que les gens qui l’achètent ne se sentent pas débiles à côté de ceux qui l’ont téléchargé gratuitement. C’est pour ça que j’ai inclus une BD dans mon dernier album ou un magazine dans l’album précédent. Ça a du bon pour la créativité, en un sens, parce que ça m’oblige à faire des objets que les gens ont envie d’avoir.
Tu aimes partir en tournée de manière très pragmatique, très légère, comme si tu refusais de t’alourdir?
Oui, j’aime le côté pratique. C’est sûr que je ne fais pas la même chose que Johnny Hallyday. D’autre part j’ai choisi l’auto-production parce que je ne veux pas avoir 50 personnes autour de moi pour me donner des ordres, style « tu vas te mettre ici et tu vas faire une photo comme ça ». Non, je refuse de faire du business avec moi-même ou alors si j’en fais, je suis ma propre patronne. Je pense qu’il faut rester libre quand tu es un artiste. Pour moi, à côté du mot artiste, il y a le mot artisan. Mes tournantes (sic), je les fais en train, je ne veux pas d’un camion, avec lequel tu t’enfermes vite dans ton petit monde. J’aurais trop peur de devenir folle sans rien voir de la vie. Et puis, je préfère rester indépendante. C’est hyper important que mon décor rentre dans ma valise. Si demain j’ai trop envie d’aller jouer sur la place du village de Brive-la-Gaillarde, il faut que je puisse le faire sans 43 techniciens pour me monter mes lumières. Pour moi être heureuse c’est ça. Il faut savoir se créer sa liberté.