Sonotone

White Hills

"La musique gratuite pourquoi pas. Mais de mon point de vue, on devrait pouvoir manger gratuitement"

par Sophie Morceau

Alors oui, cette interview date un peu, mais on a eu beaucoup de plaisir à la faire, alors on voulait partager avec vous ce moment, où on a pu causer à bâtons rompus avec Dave W. et Ego Sensation.

Sonotone: Hello, bon maintenant que tout est en place, on va pouvoir ouvrir le bal avec une question assez générale sur votre dernier album, Frying On This Rock. Vous l’avez enregistré avec Martin Bisi et j’ai cru comprendre que l’expérience avait été très surprenante pour vous, car assez éloignée de votre façon habituelle de travailler.

Dave W.: Oui, c’est très particulier parce que Martin Bisi a une expérience de travail de plus de 30 ans avec des groupes mythiques. Mais vraiment, ce qui était fascinant, c’était l’attention portée à la prise de son. En réalité, on a passé plus de temps à mettre les choses en place, à réfléchir à comment ça devait sonner et à le laisser organiser les micros, qu’à enregistrer ! C’est vraiment pour ce genre de trucs qu’on voulait travailler avec lui.

Ego Sensation: C’était génial car il sait exactement quel type de micro utiliser pour quel son, spécifiquement. Il sait exactement ce que ça va donner, selon la façon d’orienter ou de poser les micros, quelle sensation va être restituée à l’enregistrement et ça, c’est fascinant. Il a une oreille géniale pour ça, on lui dit ce qu’on veut et il déplace les micros en fonction de ce qu’on cherche.

Comment fonctionne votre processus créatif?

DW: Typiquement, on ne compose pas sur la route, on attend de rentrer à la maison et là on bosse chacun de notre côté, avant de mettre tout ensemble. Mais constamment, dès que je suis à la maison, je fais tourner des riffs, Ego aussi et ce disque est un mélange de ce qui nous trottait dans la tête tous ces derniers mois, mais que nous n’avions pas encore eu le temps de mettre ensemble à cause de la tournée.

Vous êtes un groupe psyché, mais vous venez de New York, c’est inhabituel, non?

DW: Voilà ! C’est exactement ça le problème! Les gens donnent un sens étrange au mot psyché. Pour nous, psychédélique veut dire surcharge de sensations et en ce sens-là et de mon point de vue, New York est probablement la ville la plus psychédélique du monde. La ville t’embarque de plein de façons différentes, agressivement, et c’est vraiment déroutant.

ES: Il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder autour de soi. Tellement de choses y sont absurdes! C’est une mine d’inspiration intarissable, ne serait-ce que grâce aux gens qui peuplent New York!

DW: La musique de la côte Ouest, c’est de la musique de flemmard. Je ne veux pas chier sur qui que ce soit, il y a plein de trucs californiens que j’adore, mais les gens empruntent une conception («la côte Ouest, centre de la musique psychédélique») que les médias ont bâtie de toutes pièces.

Il y a quelque temps, dans une interview accordée au Quietus, vous aviez mentionné à quel point vous étiez scandalisés par la place occupée par la consommation dans la vie des gens, j’avais trouvé votre point de vue très intéressant, vous pourriez en dire deux mots?

DW: Je crois qu’on est tous les deux très conscients de ce qu’on achète et à qui. Les médias de masse ont donné à penser que la contestation était has been et que les gens qui manifestaient encore étaient une bande d’idiots passéistes. La plupart des gens sont inconscients du pouvoir qu’ils détiennent. L’un des plus grands pouvoirs détenus par les gens à l’heure actuelle, c’est leur pouvoir d’achat et ce qu’ils en font. Je ne veux pas acheter des trucs modifiés génétiquement, alors je fais attention à ce que j’achète. Si une marque utilise des OGM dans un produit, je n’achète ni le produit, ni aucun autre produit de la marque.

ES: En parlant des dérives de la consommation, la dernière fois qu’on est rentrés de tournée, on a été contactés par Spotify. J’ai eu des heures de conversations avec des potes, parmi lesquels y a des gens qui trouvent que c’est super et d’autres qui trouvent que c’est du vol. Bref, en rentrant, j’ai reçu ce décompte qui m’annonçait que pour 10'000 écoutes, j’avais le droit de toucher… 80 centimes de droit d’auteur! Les gens ont développé l’idée qu’ils doivent pouvoir écouter ou télécharger gratuitement, que l’art devrait être gratuit – ce qui en soi est un super concept, mais de mon point de vue, on devrait pouvoir manger gratuitement! (ou être logé gratuitement! rajoute Dave). Pour moi le vrai problème, c’est que les gens engraissent un intermédiaire et participent à un système qui ne permet pas aux artistes indépendants de vivre, tout en enrichissant prodigieusement un petit nombre de gens qui ne sont pas des artistes et qui sont juste concernés par le profit, le leur. En fait ce qui me dérange c’est le profit en lui-même.

DW: C’est juste qu’il y a une façon d’amener une valeur ajoutée quand on est une petite structure, ce qu’une grosse structure ne peut pas amener. Les magasins de disques ou les labels indépendants, c’est essentiel, ce sont des partenaires très importants pour les musiciens, la majorité ne le fait pas par profit, mais parce qu’ils y croient! Acheter des disques dans un vrai magasin, c’est ce qu’on peut faire de mieux après venir aux concerts, parce qu’on fait tourner une économie locale tout en soutenant des artistes qu’on apprécie.

Votre pire/meilleur souvenir de tournée?

DW: Hum, la fois où on a cru qu’on allait mourir sur un ferry entre la Suède et le Danemark! Enfin, ça tanguait tellement que nous on a cru qu’on allait y passer, ça alors que les vieux Scandinaves ne faisaient que de se marrer et de picoler et n’avaient pas l’air alarmés pour un clou.

ES: Le meilleur: je dois dire que faire la première partie des Flaming Lips, c’était vraiment bien ! DW: Je confirme - un des meilleurs moments, pour sûr!

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