Chelsea Wolfe + Russian Circles
Fri-Son, Fribourg
16.10.2013
par Francis Kay
Dans un numéro de l’année dernière (septembre 2013), l’une des contributrices de ce webzine a eu le loisir d’écrire tout le bien qu’elle pensait de Pain Is Beauty, le nouvel album de Chelsea Wolfe. 2014 fut, pour ma part, l’année où j’ai eu l’agréable surprise de découvrir l’envoûtant «drone-metal-art-folk» (merci Wikipedia) de cette chanteuse instrumentiste. Mon intérêt accru pour une prestation live s’est trouvé bientôt comblé, puisque j’appris que la tournée de promo de la Californienne passait par la Suisse et, que pour ne rien gâcher, elle avait le bon goût de s’être associée avec Russian Circles.
Me voilà donc à Fri-Son en plein milieu de semaine, et on remarque tout de suite une assez grande affluence dans la salle de concert. La première explication que l’on serait tenté d’y apporter, c’est que la bonne réputation de Russian Circles y est pour beaucoup: les concerts déjà donnés en Suisse font que ce groupe n’a plus rien à prouver; il dispose maintenant d’une réelle base de fans et le coin merchandising, ce soir-là, était plutôt bien achalandé. Sur ce dernier point, on pourra encore observer que Chelsea Wolves et Russian Circles ont eu recours aux services du même graphiste : ça se voit de façon assez évidente dans le résultat. Mais ce soir-là, les parallèles entre les deux formations n’iront pas plus loin, puisque Chelsea Wolfe n’a pas chanté Memorial, le morceau qu’elle a enregistré avec Russian Circles. En fait, c’est d’abord le groupe de Chelsea Wolfe qui jouera sur scène.
Après qu’on l’ait attendue un bon moment, elle rejoint enfin ses musiciens, vêtue d’une sorte de chasuble blanche: audace inattendue pour celle qui affectionne une esthétique ténébreuse en tous domaines, bien que le reste de ses attributs vestimentaires ne déroge pas à ce parti pris plus habituel. C’est à ce moment que me revient en souvenir Trish Keenan, la regrettée chanteuse de Broadcast : pour ces deux artistes de talent, l’attitude assumée de la prêtresse demeure la simple concrétisation d’une musique qui tient souvent du registre de l’invocation. Cependant, l’inventivité mélodique de Chelsea Wolves nous préserve de l’ennui - voilà une vertu devenue assez rare pour mériter d’être soulignée. La dimension liturgique de son entrée sur la scène du Fri-Son va peu à peu évoluer au fil du concert, car tout en gardant son sérieux de tragédienne, Chelsea initie un déshabillage sensuel et progressif, ne laissant finalement plus paraître, à la fin, que du noir sur sa peau.
Musicalement, Chelsea Wolfe ne sacrifie pas à la mode de la symphonie post-rock qui doit durer au moins plus de 7 minutes; tout en demeurant donc dans un format court, assez pop, ses compositions parviennent à la fois à nous étonner et à nous perdre dans leur cohérence. C’est ce que j’étais venu vérifier sur place à Fri-Son, et je n’ai pas été déçu, bien que d’autres amatrices ou amateurs se disaient moins convaincus à la fin du set. Personnellement, je pense que Chelsea Wolfe peut encore progresser, car cette musicienne est clairement parvenue, depuis son album Apokalypsis (2011), à dépasser les clichés du goth en s’en inspirant. C’est là qu’un rapprochement insolite pourrait être éventuellement fait avec le surf-goth du goupe Wavves : comment expliquer que la Californie soit devenue un terreau si profitable pour la culture dark – une alliance que l’on pourrait pourtant croire contre nature?
Pour l’instant, il est difficile d’imaginer la façon dont la musique de Chelsea Wolfe va évoluer: décidément tiraillée entre l’influence du doom et son goût pour des atmosphères beaucoup plus intimistes, elle va sans doute continuer à tenter de sublimer ce genre d’oppositions, tout en creusant de façon plus assurée son sillon – du moins on ose l’espérer.