Sonotone

Primavera Sound 2012

par Simon Pinkas


C'est en me rendant pour la première fois à l'appartement qui devait nous servir de base, que j'ai intégré d'une façon très tangible ce que j'avais pu lire dans la presse ces derniers mois. L'engrenage économique et social dans lequel se trouve l'Espagne peut être décrit en trois mots: «C'est le merdier». Et nulle part n’était-ce plus visible que dans le quartier ou nous logions, Poble Nou, qui il y a quatre ans avait l'ambition d'être un pôle pour les affaires et le tourisme; une vitrine digne de la nation puissante et prospère que deviendrait la péninsule Ibérique. Il n'en fut rien. Ce que l'on y trouve en 2012 est une impressionnante d'appartements vides, des bureaux où personne ne travaille, deux centres commerciaux qui n'attirent que quelques touristes logeant dans les hôtels de luxe à proximité de la plage, et surtout des sites de constructions qui n'ont pas bougé d'un iota depuis ma dernière visite, un an auparavant. Et tout cela a un effet évident sur la population locale, qui a perdu de son entrain, au profit d’une anxiété et d'une frustration très palpables. Ce que la Plaça de Catalunya a perdu en indignés, la ville l’a gagné en résignés.

Mais je n'étais pas dans le coin pour commenter la situation socio-économique du pays. Je m'y suis rendu pour assister à la grand-messe de la musique indé, le festival San Miguel Primavera Sound. Je vous défie de me trouver un autre festival en Europe pouvant se targuer de proposer une programmation aussi variée et éclectique, aussi ambitieuse aussi. À peu près tous les genres de musiques actuelles sont représentés. Du hip-hop (A$AP Rocky) au métal (Liturgy) en passant par la folk (Jeff Mangum), l'éléctro (LFO), la pop (Wilco), le psyché (Spiritualized), où de l'AfroBlues (Bombino), il y a quelque chose pour tout le monde. Les fans de hits monstres n'auront eu, par contre, que The Cure, Franz Ferdinand et Justice à se mettre sous la dent. Pas de Lana Del Ray ou de LMFAO, donc – «Mais taaant mieux», comme on dit chez nous.

Le premier jour fut à la hauteur du «meilleur festival du monde», pour reprendre les mots de Bradford Cox, et a même allègrement dépassé mes attentes les plus optimistes. Ça a commencé avec Unicornibot, un groupe de math-rock Espagnol qui, malgré leurs masques en papier d'alu, a donné une performance simplement remarquable de précision et de puissance, et sera au final une des révélations de cette édition. Place ensuite à Archers Of Loaf, qui rappelait l'époque où tout le monde jouait du Sebadoh. Sympa mais sans plus. Les deux heures suivantes furent le calme avant l'ouragan: Mazzy Star (joli), Wilco (vous pouvez lire ma chronique de leur concert à Zürich ici), bière, whisky, hot-dog, etc... Puis les nuages s’amoncellent: la scène Ray-Ban se remplit, les visages se crispent quelque peu, même la jambe d'une amie restée un trop longtemps au soleil se met à enfler et à changer de couleur. Et boum. Refused débarque, les mâchoires tombent: à côté de Dennis Lyxzèn et compagnie, les autres groupes ont le charisme, la présence scénique, la maîtrise et la puissance d'une semelle de converse. Une claque nucléaire, qui s'achèvera sur un New Noise magistral. J'obligerais tout le monde à faire l’expérience de ce groupe à Belfort, si j'en avais l'autorité. Mes acolytes m'ayant abandonné, c'est seul que je me suis rendu sur la mal nommée scène Mini, pour le concert que j'attendais le plus, Spiritualized.

Jason Pierce, accompagné de trois musiciens plus deux chanteuses gospel, a immédiatement mit les points sur les i en ouvrant avec Hey Jane, premier morceau épique de son excellent dernier album, Sweet Heart, Sweet Light (chronique ici). Les dynamiques en crescendo si caractéristiques de Spiritualized sont très bien retranscrites en live. Ce qui commence comme des ballades douces et mélancoliques, finit en explosions psychés inoubliables. J'ai versé ma seule larme du festival en entendant les premières notes de Walking With Jesus, un classique de Spacemen 3. L'inconnue à côté de moi semblait autant apprécier et m'a lancé un petit regard complice avant de me prendre dans ses bras, et de disparaître dés la fin du morceau, fort malheureusement. Mais j'ai bien fait de ne pas lui courir après, car un magnifique Ladies and Gentlemen We're Floating In Space m'a vite fait oublier la jolie fille. C'est donc lessivé que j'ai quitté la scène Mini, pour me rendre à John Talabot. La fatigue et la solitude ayant pris le dessus, je n'ai pas insisté, et suis rentré à l'appartement, en titubant, et en me demandant «comment ai-je pu voir autant de choses magnifiques en une soirée?» à la place de l'éternel «pourquoi ai-je autant bu?».

Le second jour au Parc Del Forum pouvait difficilement surpasser la qualité du premier. Et effectivement, cette journée fut la plus calme, mais tout cela est évidemment relatif. L'accent était de nouveau mis sur les 90’s, pour le plus grand bonheur de mes camarades, mais n'ayant pas eu le privilège d'être adolescent à cette époque, j'ai malheureusement eu beaucoup de peine à apprécier Chavez, qui, à moins que j'aie raté une subtilité, est un énième groupe d'alt-rock, sans réel intérèt. L'heure suivante allait être corsée, car trois groupes intéressants jouaient en même temps: Girls, I Break Horses, et Lower Dens. N'arrivant pas à me décider, j'ai fait l'erreur de tenter le combo, et n'ai finalement rien vu: un bel échec de ma part. Leçon retenue. Place ensuite à Liturgy, dont le black-métal m'a emporté très loin, à l'abri des dilemmes horaires. C'est vers la fin du set que je me suis rendu compte que la scène Vice était presque à moitié désemplie. La faute à la tête d'affiche, j'ai nommé The Cure, qui a transformé le Parc Del Forum en festival fantôme, à l'exception de la scène San Miguel où quelques 30'000 personnes s'étaient rassemblées pour un concert qui, semble t-il a duré presque trois heures. Ayant eu l'occasion de les voir précédemment, j'ai préféré me rabattre du côté de la scène ATP, où la bière était à proximité et accessible, à attendre avec dix autres pelés la venue de Dirty Three.

Ils débuteront avec deux choses marquantes: Furnace Skies, sorti de leur dernier album, et quelques mots qui résument très bien la fougue amère du groupe de Waren Ellis. «Thank you very fucking much. Who saw The Cure, I didn't. This is a song about realizing your whole fucking outbox is full of letters written to people who are dead, and that's why they don't write back, because they've left this mortal coil. It's called, Sometimes I Forget You've Gone.» C'est agréable de voir un groupe qui aborde des thématiques aussi sombres sans pour autant s'adonner aux crescendos ou au post-rock généralement associés à quoi que ce soit de vaguement émotionnel. Dirty Three représentent plus le type qui gueule seul au coin d'un bar miteux, que l'ado contemplatif qui essaye de relativiser en regardant les étoiles. Une leçon d'honnêteté, qui n'allait pas s'arrêter là. En effet, le groupe suivant fera lui aussi dans la mélancolie, mais version benzodiazépines.

Codeine, que j’attendais de pied ferme, a crée le silence autour de la scène ATP par sa grâce dépressive. Même Warren Ellis qui sautait partout quelques minutes auparavant, s'est soudainement figé. Le reste de la soirée aussi, par la même occasion. J'ai débuté la dernière soirée du festival avec le concert du terriblement sous-coté Sandro Perri. La musique du canadien, à la fois funky et douce, fut une sacrée bouffée d'air frais; à mille lieues des nombreux groupes axés noise que j'ai pu entendre les trois jours précédents. Mon impression est d'avoir vu un artiste accompli, qui ose sortir du lot. Je me suis ensuite rendu à l'auditorium Rockdelux (trop) climatisé pour une performance solo de Jeff Mangum, tête pensante de Neutral Milk Hotel. Dés les premières notes du set, il invitera le public à se rapprocher de lui. C'est une nuée de fans (dont je fais partie) qui s'est instantanément retrouvée assise par terre ou sur la scène, un peu comme des élèves de classe enfantine autour du professeur. De quoi briser la glace. Il jouera principalement des morceaux tirés de In The Aeroplane Over The Sea (mais sans oublier le reste de son répertoire avec, notamment, un magnifique Baby For Pree). C'est Two Headed Boy pt. 2 qui submergera l'auditorium d'émotion, cimentant mon sentiment d'avoir assisté à quelque chose de réellement spécial.

Retour à la lumière du jour et au brouhaha. Je me suis rendu sur la toute petite scène Adidas pour voir les luxembourgeois de Mutiny On The Bounty. Vu que le concert de Shellac se déroulait à deux pas, il n'y avait absolument personne. Le tout semblait voué au désastre, mais c'était sans compter sur un groupe puissant qui mettra cœur et âme dans sa performance, ainsi qu'un ingénieur du son qui osera faire péter les façades, et nos oreilles, pour leur en donner les moyens. Je suis resté immobile, époustouflé par le groupe et terrifié par le volume. Un coup de cœur certes, mais dont je ne récupérerai pas. En effet, une sieste s'imposait, et je suis allé comater avec une amie dans un des poufs du stand Camel.

Je me réveillerai une heure plus tard, au son des premières notes de Genesis de Justice et une foule d'anglaises en mini-mini-mini shorts en train de sprinter vers la scène San Miguel. Un cauchemar? Si c'en était un, il était loin d'être fini. C'est probablement la haine de soi qui m'a permis de me traîner jusqu'à la scène Mini afin de rejoindre mes amis qui regardaient le set de LFO, jouant devant quelques centaines de personnes seulement. N’étant plus en état de pouvoir m'exciter sur de l'électro pas très subtile, j'ai essayé de me concentrer sur des visuels qui feraient faire une crise d'épilepsie au cadavre d'Ian Curtis. Grave erreur. Me rendant compte un peu tard que j'allais être malade, j'ai lâché un petit «C'est un peu trop angoissant pour moi, ça» à une amie qui était, elle, totalement scotchée, avant de m'éloigner. Et là, le drame. Après cinq petits pas, je suis pris de nausée, et poussé par la fierté et beaucoup de bêtise, je tente l'impossible: ravaler ce qui restait de mon fallafel à moitié digéré. J'ai bien évidement échoué, et c'est d’un jet épique que je souille un adorable couple accroupi par terre. Après leur avoir présenté mes excuses, je suis sorti pour la dernière du Parc Del Forum, à attendre patiemment le retour de mes amis sur un banc, tout en me faisant draguer par un type qui s'est vite refroidi lorsque je lui ai expliqué que non, ce n'était pas de la transpiration sur mon t-shirt.

Tout ça pour dire que Mutiny On The Bounty étaient excellents, et qu'en guise de reconnaissance, je leur ai laissé ce qui me restait de dignité. Vive le Luxembourg. Un pays qui, à la fin de ce qui fut une cuvée exceptionnelle (d'un festival d'exception), allait mieux que l'Espagne, et mieux que moi.

"Non, ce n'est pas de la transpiration sur mon t-shirt"

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Interview