Sonotone

Festivals de l'été: bilan

par Gaspard Turin


Ce dossier est une sorte de foutage de gueule, me direz-vous quand vous comprendrez de quoi il est constitué. Ce à quoi je répondrai: sans doute, mais conçu avec le désir d’en faire un objet ludique. Nous avons tout de même de la considération pour nos lecteurs, et nous savons que nous pouvons faire appel à votre sens de la procrastination pour faire passer ce petit jeu avant les travaux urgents (qui vous attendaient déjà hier, qui pourront bien vous attendre jusqu’à demain).

Alors voilà: cet été, dans les festivals, nous avons eu la chance de faire plusieurs interviews de groupes, certains confidentiels, d’autres moins. Nous en avons extrait quelques questions et, ci-dessous, fait un petit mélange de celles-ci. Saurez-vous retrouver qui a dit quoi?... Réponses en fin d’article.

 

(1)

Vous êtes combien dans le groupe? On peine à faire le décompte…

 Onze actuellement. Mais en fait, on n’est pas que onze. A ce stade, c’est difficile de faire la différence entre les musiciens et les collaborateurs qui s’occupent du booking, du management, etc. Pour nous, ces gens font tout aussi bien partie du projet, et donc du groupe.


(2)

On a l’impression, quand on vous voit ou qu’on vous entend, que vous êtes une sorte de monstre à quatre têtes. C’est le cas?

C’est vrai, mais on ne voit pas tellement le problème. Au contraire, le pire c’est quand les médias exigent qu’il y ait le chanteur au premier plan et les trois autres derrière, tout flous. On vit dans un monde où tout tend vers ça et on essaie de s’en protéger les uns les autres. C’est beaucoup le cas aux Etats-Unis, on déteste ça.

 

(3)

Vous voulez bien dire à nos lecteurs qui vous êtes et ce que vous faites?

Alors, on est six musiciens: 3 MCs qui rappent et 3 beatmakers aux claviers midi, qui s’occupent d’empiler les couches électroniques ou qui intègrent des samples. Contrairement à la plupart des groupes de rap ou de hip-hop, on ne tape pas beaucoup dans des samples jazz ou funk, on a des influences très diverses, aussi bien rock qu’électroniques.

 

(4)

Vous jouez ensemble depuis maintenant plus d'une décennie. Qu'en tires-tu, en général?

Tout d'abord, un groupe fonctionne un peu comme un mariage. Il faut coûte que coûte rester amis et être à l'écoute. On croise tellement de groupes dont les membres n'arrivent pas à se supporter... C'est pathétique! En ce qui me concerne, je ne pourrais pas vivre comme ça: être loin de chez moi avec des personnes que j'ai envie de frapper, c'est ma définition de l'enfer. Fleetwood Mac dans les années 70... Quel enfer!

 

(5)

J'ai été frappé par la chanson Fresh Strawberries. C'est une chansons très pop, ce qui est plutôt inhabituel pour vous?

C'est clairement la chanson la plus mélodique que nous ayons jamais écrite. C'est drôle parce qu’elle est venue plutôt tard dans le processus d'écriture. Nous étions en train de lire des chroniques l'autre jour, et beaucoup de journalistes pensaient que la chanson parlait de dieu sait quoi, alors que c'est vraiment juste une chanson sur les fraises! Ou peut-être que c'est une analogie sur... J'en sais rien… sur la mort (rires).

 

(6)

Citez-moi quelques influences.

–Nick Cave, Shellac, Swans…

–Moi ça serait plutôt le hip hop indépendant américain, hors rivalité côte est-côte ouest, les gens qui travaillent avec de vrais concepts, un vrai contenu, une vraie image. Aesop Rock, Def Jux, El-P, Sole… A une époque, tout ce qui sortait chez Anticon était incroyable. Des gens qui rappent avec le cœur.

 

(7)

Stupéflip passait hier soir. Vous les avez vus?

Non, c’est pas notre truc. Parce que toi, t’aimes bien?

Euh, oui (long silence…)

 

(8)

Entre membres du groupe, vous ne vous foutez jamais sur la gueule?

Au début ça nous arrivait tout le temps. Adolescents on se tapait beaucoup dessus, au tout début, avant même qu’on ne sorte de disque. Depuis on s’est calmés, on s’est comme vidés de tout ça.

 

(9)

Vous êtes donc très nombreux, c’est entendu. Mais est-ce qu’il n’y a pas, du coup, un effet d’autarcie dans le fonctionnement du groupe? Par exemple, il n’y a pas beaucoup de gens qui font la même musique que vous…

C’est vrai qu’il n’y a pas grand monde de qui nous nous rapprochons musicalement. Mes préférences vont plutôt aux assemblages de genre, à la Steve Reich.

 

(10)

Parlons du nouvel album. Il y a une certaine décontraction sur ce disque que je n'avais encore jamais entendue dans votre musique…

C'est sûrement dû au fait que nous avons aimé le faire. C'est en tout cas l'album que j’ai pris le plus de plaisir à enregistrer. Pour les deux précédents nous étions vraiment tendus. En particulier pour le précédent, ou nous nous sentions constamment épiés. Tu produis rarement ton meilleur travail lorsque tu as l’impression d'être sous surveillance. Je me souviens que beaucoup de personnes nous demandaient, quand il est sorti, si nous avions ressenti beaucoup de pression. Ce à quoi nous répondions toujours «Nous? Pas du tout», alors qu'en réalité nous pensions «Aaaaaaaaaaaaaaaah!!». Nous avons enregistré le nouvel album uniquement parce que nous le souhaitions. La décontraction dont tu parles vient aussi du fait que nous nous entendons mieux qu'avant, en tant qu'amis. Il n'y a plus de forces extérieures pour nous mettre la pression. Je suppose que notre rupture avec Sony aux USA et au Japon a aussi joué un rôle, nous n'étions vraiment pas à l'aise avec eux.

 

(11)

A tête reposée, votre dernier album ressemble vraiment à une collection de chansons modulables, faites pour être mises bout à bout et mélangées, comme dans un jeu de construction. Est-ce à cela que vous aviez pensé?

Oui, c’est exactement ça. Et non, on n’y avait pas exactement pensé, mais c’est en fait un reflet de la manière dont on a conçu l’album. On avait des parties plutôt que des chansons, et jusqu’à deux semaines avant la fin du disque, ces parties étaient encore indépendantes. On les avait disposées sur un grand tableau noir, elles pouvaient toutes aller ensemble. C’était notre ambition de faire un album d’une seule veine, comme nos albums préférés, par exemple What’s Going On.

 

(12)

Votre dernier album n’est pas la collection de tubes qu’était le précédent, lequel vous avait propulsés jusqu’à des sommets insoupçonnés. Est-ce pour éviter de devenir un «groupe à stades» que vous avez procédé de cette manière?

On n’a pas exactement peur de ça, d’ailleurs on adore jouer devant beaucoup de monde. Mais on essaie d’éviter les tics du genre, de devenir le cliché d’un groupe à stades. Ces groupes ont toujours les mêmes codes: faire plus grand pour faire plus grand, en somme. On veut éviter cette progression faussement logique.

 

(13)

Malgré votre taille, le projet reste à l’origine d’une seule personne – le groupe n’a qu’un leader, en somme. Ça n’est pas trop dur pour toi de faire tourner tout ce monde? Et pour vous autres, de travailler sous sa houlette?

–Pour moi, c’est idéal: j’ai l’impression d’avoir à ma disposition des musiciens que ça ne dérange pas de me laisser prendre les décisions artistiques! Je ne pourrais pas rêver mieux.

–Et pour nous, je crois que personne ne souffre de problèmes d’ego dans cette distribution du travail. On se considère vraiment comme les interprètes de sa musique. Par ailleurs on est nombreux à avoir d’autres projets musicaux, donc là non plus pas de frustration.

 

(14)

Vous n’avez pas encore de disque, c’est juste?

Non pas encore, mais on y travaille. Ça fait deux ans qu’on a envie d’en faire un. Mais on aime aussi beaucoup faire du live… A un moment, il faudra qu’on prenne du temps pour construire quelque chose sur le mode de l’enregistrement. Travailler pour le live ou pour le studio, c’est pas du tout pareil. C’est les mêmes instrus et les mêmes textes, mais le travail sur l’énergie est radicalement différent. Dans l’enregistrement, l’énergie elle est aplatie, il faut trouver comment la régénérer.

 

(15)

Vous avez joué sur la grande scène du Paléo il y a un an, et vous vous retrouvez aujourd'hui au For Noise.

Nous adorons toujours donner des concerts sur de plus petites scènes. On ne savait pas vraiment à quoi s'attendre avant d'arriver ici, puisque c'est notre booker qui s'en occupe. Tu as vu les brebis sur la colline tout à l'heure? (rires) Il y a beaucoup de chouettes festivals en Suisse. Je me souviens d'une date l'été passé, je ne sais plus exactement ou c'était, à Lugano peut-être. Nous jouions sur une place centrale, et juste à gauche de la scène il y avait un lupanar. Les «employées» nous regardaient jouer depuis leurs balcons (rires). La Suisse est aussi le seul pays ou le public fait (ndlr.: il imite la hola) «oooooooooooaaa!»

 

(16)

En live, vous avez des déguisements étonnants, vous pourriez nous en parler?

Ah non, c’est des costumes, c’est pas pareil. C’est difficile d’en parler, parce que ce sont des personnages dans lesquels on entre pour se donner en représentation. Expliquer ces personnages irait à l’encontre de la démarche, justement.

 

(17)

Votre prochain album est en préparation. Dessus, il y aura une chanson – qui est d’ailleurs votre nouveau single – qui s’intitule Fanny Giroud. C’est une bonne copine du staff sonotone! Quelle est l’histoire derrière ce nom?

C’est fou, tout le monde la connaît ici, on dirait! Tu n’es vraiment pas le premier à nous poser cette question… En fait, sur le prochain album, chaque chanson a le nom d’une personne que nous connaissons, comme pour prolonger l’effet de groupe de notre formation. C’est une manière de reconnaissance envers notre entourage; ce sera un album où on fait plaisir à nos potes.

(à cet instant, un fan s’approche de notre table pour saluer le groupe. Les musiciens lui demandent si, lui aussi, il connaît Fanny Giroud. Le type répond «Ah! Je la connais par cœur, c’est ma préférée!»…

 

 

 

 

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Réponses

(1), (9), (13), (17) : Mermonte

(2), (8), (11), (12) : Phoenix

(3), (6), (7), (14), (16) : The Labrats Bugband

(4), (5), (10), (15) : Franz Ferdinand

 

Ndlr: Pour Franz Ferdinand, le batteur Paul Thompson répondait aux questions de Simon Pinkas. Pour Phoenix, le chanteur Thomas Mars et le guitariste Christian Mazzalai répondaient aux question de Gaspard Turin, lequel a également interviewé Ghislain, Astrid et Pierre (de Mermonte) et l’intégralité de l’équipe Labrats Bugband (Moon, Peck, Gaspar, Abstract Compost, Rynox, Obake).

Live

"Quel enfer!"

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