Breton
"Notre disque n'est qu'un artefact, comme un prototype ou un croquis"
par Sophie Morceau
Breton, le groupe anglais dont la notoriété n’a cessé de croître depuis la sortie de Other People’s Problems, jouait à l’Amalgame le mercredi 3 octobre. Sonotone en a profité pour poser quelques questions à Roman Rappak, apprenant au passage pourquoi ce brave et charmant garçon parle aussi bien le français.
Sonotone: Beaucoup de choses ont déjà été écrites ou dites sur le fait que vous fonctionniez de façon collective, peux-tu être un peu plus précis sur la façon dont ça marche entre vous?
Roman Rappak: On faisait tous beaucoup de freelance, parce qu’il n’y a pas vraiment de job stable dans le monde artistique, Adam est photographe, moi j’ai étudié le son. On avait l’habitude de bosser ensemble pour faire des courts métrages ou des expos, puis on a fait appel à notre entourage pour faire d’autres supports visuels, genre des flyers. On a aussi beaucoup appris de choses en ligne, en suivant des tutos sur le web. En fait, tout est parti d’un court métrage, on avait très envie de le montrer mais c’était tellement dur de rentrer dans le circuit des festivals du film que ça a finalement été plus simple de dire qu’on était un groupe et qu’on avait des visuels à montrer. Certains de nos potes sont venus, ils ont embarqué des mecs qui blogguaient, qui avaient des webzines et ça a commencé comme ça.
Si je comprends bien, le projet vous a un peu échappé?
C’est vraiment ça, c’est toujours très organique, on n’a jamais eu ni d’objectifs, ni de plan de carrière. En une semaine on nous a proposé un festival en novembre, qu’on a accepté avec plaisir et l’opportunité de diriger un film pour la fashion week.
Il y a quelque chose de très britannique dans vos chansons, que ce soit des clins d’oeil à Blur, des références à Pulp ou , plus étonnant, des similitudes avec le “Asian Underground”, genre la bande à Talvin Singh et Nitin Sawhney. Du coup, à quel point vous sentez-vous britanniques?
Je suis super flatté et assez content que tu cites le Asian Underground, parce que c’est vraiment la mère de tous les cultures hybrides en Grande-Bretagne, c’est celle qui existe depuis le plus longtemps. Du coup c’est aussi celle qui s’est le mieux définie culturellement ou musicalement et qui est allée le plus loin dans l’identité hybride. Je cherche un peu mes mots, mais ce sont des sujets délicats, dont il ne faut pas parler n’importe comment, surtout après la colonisation, ou avec le racisme ambiant. Parce qu’en définitive, c’est eux qui sont les fondateurs de notre nouvelle identité britannique et pas les gens qui se posent en conservateurs de celle-ci. Enfin, pour ce que j’en sais, je suis à moitié polonais et aussi un peu irlandais et lithuanien, mais mes parents m’ont envoyé dans une école française , pour que je ressente un peu cette impression d’aliénation, moi aussi – ce que j’ai appris récemment, à ma grande surprise. Du coup, quand j’ai changé d’école, pour aller dans une école anglaise, il y a eu un choc culturel, j’étais en décalage, je n’avais pas les mêmes références culturelles que les autres élèves, alors que j’avais toujours cru être complètement anglais. Mais à partir de là, je me suis toujours senti plus proche d’une culture en adaptation.
Qui sont vos modèles?
Nigel Godrich pour son travail de production, mais aussi DJ Shadow et la culture hip-hop en général, parce que ça permet justement de mélanger des choses qui nous définissent, en une fraction de seconde et un mini-sample, cela permet de faire un portrait de soi condensé. En fait, je trouve génial de ne plus avoir à se mettre en lien avec une scène, mais plutôt en termes d’absence de définition, c’est aussi un genre d’hybridité.
Peux-tu nous en dire plus sur la façon dont fonctionne la partie collaborative de Breton?
La partie collaborative de notre projet? Il y a une version pour le disque et après, il faut repenser la version live. On ne peut pas, pour des questions techniques, reproduire l’album à l’identique sur scène. Mais aussi, le disque est juste un artefact supplémentaire, c’est comme un prototype ou un croquis de ce qui se passe réellement sur scène. Si on se contente de tout remplacer tout par des sons synthétiques, dans une salle pleine de gens, ça sonne creux et désincarné et c’est là que l’aspect collaboratif entre en jeu. Comment, nous quatre en tant qu’êtres humains allons réussir à faire sonner ça sur scène.
Quelle est ta plus grosse inquiétude pour ce projet?
Que ça s’arrête! C’est le truc le plus incroyable duquel j’ai jamais fait partie et je pense que c’est des choses qui t’échappent complètement. Il n’y a pas de justice pour la façon dont ça fonctionne, tu ne peux pas dire «j’ai beaucoup travaillé, je mérite le succès», n’importe quoi peut arriver, j’ai beaucoup de chance, en fait. Mais aussi, ça change ton approche créative, j’ai toujours fait des trucs, mais maintenant, j’ai des gens à qui le montrer. Par exemple, si tu écrivais juste pour toi, tu n’écrirais pas de la même façon qu’en sachant que des gens vont te lire, il y a un sentiment de responsabilité qui s’installe. Je crois que c’est ce sentiment que je crains le plus de perdre.