Sonotone

2011

par Gaspard Turin


L’habitude des tops de fin d’année se heurte chez sonotone.ch à deux problèmes qui rendent l’exercice difficile : la logique associative de notre structure. Elle ne nous aura pas permis d’établir un top hiérarchiquement classé (ça, c’est plutôt bien). Elle ne nous aura pas permis de sortir ce top au moment qu’il aurait fallu (c’est moins bien, déjà). Mais nos chers lecteurs ne nous en voudront pas d'être en retard de quelques semaines, c’est aujourd’hui le temps qu’il faut pour avoir tout oublié de l’année qui vient de se terminer. Petit rappel utile, donc, sous forme de chansons plutôt que d’albums. Pour changer. Et parce que si seul le format album permet à une œuvre musicale de se développer, la chanson reste l’article qui peut vous sauver la soirée, la semaine ou l’année.

Nos n°1, par ordre alphabétique (départagés des n°2 uniquement par la photo finish)

Bill Callahan

America

L’hymne anti-folk de l’année, bancal et âpre, minimaliste et tranquillement ironique, qui se développe sur cinq minutes et demie pour passer de déglingué à étrangement dansant.

 

Chelsea Wolfe

Mer

Ou lorsqu’une remarquable chanteuse refuse de transiger entre metal et folk, envoyant balader les codes. L’anti-Lana Del Rey, et notre icône pour 2011.

 

Civil Civic

Grey Nurse

Avec les moyens du bord, deux Australiens revisitent en quatre minutes ébouriffantes ce que le surf-rock a fait de mieux depuis Cecilia Ann des Pixies.

 

Destroyer

Bay Of Pigs

Sur plus de onze minutes de swing léché et de paroles désabusées, Dan Bejar enfonce le clou : à l’image du débarquement désastreux des Américains à Cuba en 61, la pop-music est une arme absurde, et le meilleur véhicule du nihilisme contemporain.

 

Honey For Petzi

Made of Concrete

En constante évolution, le trio lausannois sort en début d’année un album inattendu, risqué et impeccable. Un titre qui illustre l’élargissement réussi du formalisme auquel le groupe nous avait habitués.

 

Kurt Vile

Jesus Fever

Un nom bien grunge (ou brechtien, c’est selon), la voix comme prise dans des cheveux de type Cousin Machin, et derrière cela une chanson qui tourne comme une moulinette : il n’en fallait pas plus pour mettre absolument tout le monde d’accord.

 

M83

Midnight City

Le saxophone qui arrive à la troisième minute réveillera en chacun la fibre épico-kitsch que seul, jusqu’ici, avait su nous transmettre le générique de Beverly Hills 90210.

 

PJ Harvey

The Words That Maketh Murder

Album en demi-teinte pour certains, chef d’œuvre absolu pour d’autres : quoi qu’il en soit, cette chanson a fait l’unanimité dans notre rédaction.

 

Tennis

Into The Woods

Le clip: deux sœurs effaçant les traces d’un meurtre sanglant. Une voix angélique pour le contraste, et une batterie qui développe un groove monstrueux pour emballer l’ensemble. Gageons qu’en 2012, Tennis cessera de n’être qu’un groupe biquet.

 

Wilco

Born Alone

Ecoutez cette chanson une fois et vous la trouverez sympa. Ecoutez-la trois fois, vous penserez: étonnant. Et avant que vous ayez pu vous en rendre compte, elle sera en tête de vos chansons les plus lues, avec toujours un aspect nouveau à chaque écoute.

 

Deuxièmes de justesse (de 11 à 20):

Atlas Sound

Mona Lisa

Sous ses dehors de grande chose malade officiant à l’ombre d’un groupe expérimental et (encore trop) confidentiel (Deerhunter), Bradford Cox est en fait un génie pop au même titre qu’un Win Butler ou qu’un Billy Corgan. En témoigne cette chanson.

 

Bon Iver

Calgary

Bien que notre enthousiasme pour l’album soit un peu redescendu au fil du temps, Bon Iver reste rempli de titres incroyables, hymniques et universels, tel cette Calgary à la production subtile et grandiose.

 

Chad Vangaalen

Burning Photographs

Au cœur d’un disque riche et éclectique, les accents furieusement sonic-youthiens de cette chanson laissent présager d’une belle relève (canadienne) à la no-wave des New-yorkais précités, dont la carrière sent le sapin.

 

Cheveu

Quattro Stagioni

Quand les Français de Cheveu parviennent à s’empêcher de se saborder musicalement toutes les trente secondes, ils pondent de véritables bijoux pop-rock comme cette Quattro Stagioni à laquelle ne manque aucun élément de garniture.

 

Cults

You Know What I Mean

En piquant sans vergogne une mélodie aux Supremes (Where Did Our Love Go), Cults touche au génie et dépasse l’état de hype qui, sans cela, les eût fait sombrer dans l’oubli en 2012.

 

Fauve

Fur In The Wound

 

Ecouter ici

 

Sublime ballade où la mélodie de la voix, la guitare acoustique et les arrangements se disputent les lauriers de la réussite.

Fucked Up

Queen Of Hearts

Quand le punk hardcore et le college rock se réconcilient de manière si évidente, quand sur près de cinq minutes s’enchaînent des parties toutes plus lumineuses les unes que les autres, on obtient la chanson la plus addictive de l’année.

 

Grinderman

Palaces Of Montezuma

Prise dans un album dont on pouvait attendre un peu plus, cette chanson miraculeuse renoue avec la sensibilité brutale du Nick Cave subtil, celui d’avant la moustache et la mid-life crisis.

 

Metronomy

The Bay

Une chanson prise dans la torpeur de son époque: anxieuse d’un été que l’on souhaiterait suffisamment ensoleillé pour tenter de faire oublier le reste de l’année. Mais l’époque est aux étés pourris, ce que Metronomy a très bien compris.

 

Real Estate

It's Real

Le tube pop de l’année, par quatre mecs du New-Jersey absolument pas cools pour un sou, qui s’habillent n’importe comment et qui sourient sur les photos. Mais que fait The XX?


Troisièmes à un quart de poil (21 à 30)

Austra

Beat And The Pulse

Entre cold wave et electro, les Canadiens et leur chanteuse Katie Stelmanis, au timbre de voix qui semble s’adresser directement à l’épiderme, ont frappé fort avec leur album Feel It Break, dont voici le morceau de bravoure.

 

Baxter Dury

Isabel

Parce que Trellic passe maintenant à la télé dans la dernière pub pour EDF, on a préféré mettre Isabel (qui de toute façon est mieux). N’empêche, bravo EDF pour n’avoir pas choisi Island In The Sun de Weezer comme tout le monde.

 

Girls

Alex

La voix étranglée à la Elvis Costello de Christopher Owens servait principalement des chansons mélancoliques, jusqu’à cette Alex très rock et directe, qui tape en plein dans le mille. L’une des meilleures chansons du duo californien, au sein de son meilleur album.

 

John Maus

Believer

Je lis dans le webzine Nuage Noir une expression qui qualifie parfaitement la musique de John Maus: «pop sinistre». De cette chanson à la mélodie glorieuse et aux paroles cyniques, ou pourrait également dire qu’il s’agit d’un cantique hérétique (ça, c’est de moi).

 

Mountain Goats

Liza Forever Minelli

John Darnielle, dans la complète indifférence de tout ce côté-ci de l’Atlantique, signe avec All Eternals Deck l’un des meilleurs albums d’une discographie longue comme le bras, et avec Liza Forever Minelli une parfaite conclusion d’album. C’est dire s’il faut faire précéder son écoute des douze chansons qui précèdent.

 

Other Lives

For 12

En rendant hommage à How To Disappear Completely au début de For 12, Other Lives a eu le nez creux: Radiohead leur a demandé de faire leurs premières parties. Et en plus le reste de l’album est fabuleux.

 

The Feelies

Change Your Mind

Le grand retour des petits génies new-wave du New Jersey n’a pas fait le bruit qu’il aurait dû: nerds un jour, nerds toujours, la discrétion de Bill Million et Glenn Mercer fait partie de leur panoplie musicale. Tant pis, tant mieux.

 

The Low Anthem

Boeing 737

Si le Dylan de Blonde On Blonde décidait de reprendre du Band Of Horses, le résultat ne serait pas très loin de ressembler à ce Boeing 737, chanson commémorative des dix ans de 9/11. Epique et désespérée.

 

Thurston Moore

Benediction

En congé de Sonic Youth, en instance de séparation d’avec Kim Gordon, le guitariste-chanteur égrène, au fil d’une chanson infiniment mélancolique, un «I know better than to let you go» qui fait frissonner son auditeur.

 

Wild Beasts

Albatross

Les amateurs de Wild Beasts en parlent généralement comme d’un secret bien gardé. Une chose est sûre, Albatross, avec sa voix haut perchée et sa sensibilité à fleur de peau, est une chanson qui mérite de figurer sur toute compilation qui se respecte (surtout s’il s’agit de pécho, les gars).


Juste pas sur le podium (31-40)

Big Krit

R4 Theme Song

Bien que le hip-hop ne soit que peu présent dans ce top, nous avons choisi ce qui, en 2011, s’est fait de meilleur, notamment grâce à ce beat qui s’emballe durant le refrain, comme un coureur de fond surprend son monde par un sprint.

 

Crystal Castles feat. Robert Smith

Not In Love

De la pure dance, version 2011, hyper efficace, complètement catchy, sans complexe, et avec la caution indie de Maître Corbeau sur son arbre perché. D’ailleurs, les commentaires sur YouTube atteignent des sommets de dévotion inédits : tout le monde est in love.

 

Mavis Staple

You Are Not Alone

Une chanson écrite et produite par Jeff Tweedy (Wilco) magnifiée par la voix de la grande chanteuse de gospel Mavis Staples qui, à 72 ans, décroche grâce à elle son premier Grammy… Une belle revanche.

 

The Drums

If He Likes It, Let Him Do It

L’efficacité rock alliée à l’inquiétude d’une mélodie en mineur et d’un refrain imparable. Je serais les Editors, je me ferais du souci.

 

The Pains Of Being Pure At Heart

Too Tough

La nostalgie en personne se réinvite en 2011 au banquet des désespérés et des post-ados qui s’assument. Ou des vrais ados, d’ailleurs, et c’est très bien comme ça, rajoutez-moi un couvert.

 

The Vaccines

Norgaard

Tout le monde peut plagier les Ramones (à commencer par les Ramones eux-mêmes). Mais trouvez quelqu’un qui chante «She’s only seventeen, so she’s probably not ready» avec autant de classe que Justin Young, et on en reparle.

 

Tom Waits

Hell Broke Luce

Après quarante ans de carrière, il parvient toujours à épater la galerie et signe au passage l’une des chansons les plus rêches de l’année. «Ça, faut reconnaître, c’est du brutal», comme disait Bertrand Blier après avoir gouté à la cuvée spéciale du Mexicain.

 

TV On The Radio

Second Song

Si le groove de cette chanson ne suffisait pas à lui faire mériter sa place dans ce top, il y aurait encore le très beau clip de Michael Please pour achever de convaincre les sceptiques.

 

Wooden Shjips

Black Smoke Rise

Le drone rock de Wooden Shjips, c’est un peu comme si Suicide reprenait du Primal Scream avec Beck au chant. Ça fait un peu peur, mais en fait ça fonctionne, et plutôt bien même.

 

Wood Kid

Iron

Un rythme simple, une voix blanche, un orgue menaçant, un refrain instrumental grandiose, des arrangements somptueux : ça donne une des grandes réussites electro de l’année, tragique comme du Sébastien Schuller.


Les repêchés de dernière minute :

Battles

Futura

Parce que quand même, un batteur qui installe sa cymbale à trois mètres du sol, on ne pouvait pas le laisser dehors. Avec un Concert à l’emporter en bonus, excusez du peu.

 

Dum Dum Girls

Bedroom Eyes

Devant une telle évidence mélodique, à quoi bon porter des bas résilles, les filles ? Bah, après tout, si vous y tenez… Mais arrêtez de nous regarder comme ça, vous nous déconcentrez.

 

Mogwai

Rano Pano

Tout simple, le riff démarre, enfle, la batterie arrive, bien carrée, les guitares se surajoutent aux synthés, puis soudain la batterie s’arrête... Et quand elle reprend, c’est l’extase.

Stupeflip

Stupeflip Vite!

C’est au ptiot que jcause, qu’est en toi, à qui jcause! Dans ton for intérieur, y a un kid de huit ans qui adore cette chanson!

 

Radiohead

Separator

C’est pas parce que les vieux princes d’Oxford ont légèrement revu à la baisse la hauteur de leur panache blanc qu’on va arrêter de les suivre sur le champ de bataille. Surtout si la chanson est de cette qualité.

 

Voici pourquoi nous sommes restés vivants en 2011

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