Sonotone

Révélation: le hip hop est bel et bien vivant

par Sophie Morceau


Le hip-hop est-il mort ? Fuzati n’avait même pas pleuré lorsque lui et le Klub des Loosers l’avaient annoncé - rappelez-vous, c’était en 2004, sur Vive la Vie.

 

Une mort annoncée

En 2006, la belle intuition des rappeurs français se confirme, lorsque Nas sort un featuring avec will.i.am, Hip Hop Is Dead, issue de l’album du même nom. La chanson est particulièrement poussive, l’ancien fer de lance du hip hop new yorkais balaise et engagé s’égare dans la dystopie et achève de donner vie au titre de son album. Bien loin du Nas de Illmatic, voyez plutôt: The World Is Yours, 1994) L’album de Nas Hip Hop Is Dead donne lieu à une série de bisbilles plutôt nulles entre la bande à rappeurs mainstream, prétexte à articles poussifs opposant à qui mieux mieux Sud à Nord et Est à Ouest.

 

Vocoder, Auto-Tune – comment la cosmétique a rendu Snoop Dogg fréquentable

La période 2006–2010 est celle du règne incontesté du Vocoder et de l’Auto-Tune, logiciels qui servent à corriger la voix ou à la doubler avec un effet synthétique. En réalité, ce n’est pas leur utilisation qui est problématique, mais plutôt l’abus qui en est fait durant une courte période. Pour exemple, Snoop Dogg, jadis symbole de la lubricité et de la subversion, passe au stade de rappeur signé chez Geffen et EMI, sponsorisé par une marque de chewing-gum et invité pour passer Noël chez le Muppet Show. Pour vous aider à mesurer l’étendue des dégâts, voici l’avant: Gin and Juice (Doggystyle, Death Row, 1994) et l’après: Sexual Eruption (Egotrippin’ Malice in Wonderland, EMI, 2009). Un des rares trucs à retenir de cette période-là, c’est Dälek, mais eux ne comptent pas vraiment, parce que c’est du hip-hop pour rockers. (pour ceux qui grognent, ça ne veut pas dire qu’il ne s’est rien passé, hein, Aesop Rock et Felt, pour ne citer qu’eux, c’est bien aussi, mais là on déplore les méfaits de l’abus de vocoder.)

 

La résurrection: Levez-vous, tout le monde debout*!

*Sérieux, j’allais pas louper cette occasion de vous balancer cette chanson incroyable (Assassin, 1995) Car le réel propos de cet article, c’est de vous annoncer la résurrection du hip-hop, et plus particulièrement celui qui bouscule, qui tache et qui dérange. C’est le retour du hardcore hip-hop, celui qui ne fait pas de quartier. Les héritiers d’Assassin sont légion dans le rap francophone, comme on le verra d’ici ci-dessous. Pour le moment, petit tour d’horizon du rap anglophone qui se refait une street cred.

 

Le Swag:

Le grand retour du hip-hop underground, légèrement bête et drôlement plus méchant a été amorcé par la bande à Odd Future Wolf Gang Kill Them All, menée par Tyler the Creator. Dans la brèche, s’enfilent toute une série de plus ou moins jeunes qui y foutent bien: Shabazz Palaces – rappelez-vous de Digable Planets, les jazzeux des 90’s. À l’époque, il faisaient ça: 9th wonder (Blowout Comb, 1994) et c’était déjà swag. Certains ont survécu et en ont encore dans le ventre. Ils sont de Seattle et sur Sub Pop, jamais les derniers en termes de paris audacieux: Swerve, Black Up, 2011. Au rayon East Coast, on trouve A$AP Rocky, la riposte new-yorkaise au groove californien des potes de Tyler, The Creator: PesoLiveLoveA$AP. Dans la foulée et pas bien loin, suit Danny Brown, son pote encombrant aux poches pleines de weed, aux cheveux en bataille et au hoodie de tigre: Blunt After Blunt (XXX, 2011), Death Grips - projet de Zach Hill, batteur de Hella (entre autres): Guillotine et last but not least, le grand retour du new-yorkais El-P, The Full Retard (Cancer for Cure, 2012), autre rescapé des 90’s qui envoie encore du bois. Le plus beau, c’est que ce réveil est bien loin de se limiter aux seuls Etats-Unis d’Amérique, puisqu’on trouve le même genre d’esprit chez les Allemands de Snowgoons Terrorist (Terroristen Volk, 2012), les Hollandais de Dope DOD What Happened (Branded2011) et les anglais de Four Owls All My Life (Nature’s Greatest Mystery, 2011) moins showoff, plus poilus. C’est que du poil, il en faut pour s’opposer enfin à la vague du bling-bling. Mais c’est plutôt réjouissant que la lassitude collective face au pseudo-gangsta hip-hop débouche sur un renouveau du rap hargneux et enragé. Et c’est d’un bon oeil que des vieux briscards comme El-P et autres précédemment cités voient des petits nouveaux cracher leur bile sur le hip-hop «corny» et les «phony Mc's». Du côté de la langue française, émergent des types comme Orelsan, Suicide Social {Le Chant des Sirènes, 2011) qui a remplacé Doc Gynéco et La Fouine sur les plateaux télé français, et rien que pour ça, il y a de quoi être soulagé. Beaucoup plus swag, le premier disque de La Gale, Comptez Vos Morts (La Gale, 2012) et, ah oui, le nouvel album du Klub des Loosers, Fin de l’Espèce, 2012. On s’encourage.

"Le rap anglophone se refait une street cred"

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Interview