Sonotone

Mariee Sioux

"Je suis un peu fofolle"

par Vincent Bürgy

On la retrouve dans le hall d'entrée du Bourg, le café-théâtre lausannois situé dans la rue du même nom. Face au bar, installée dans un siège cossu, Mariee Sioux repousse d’une main sa chevelure noir de jais et de l’autre, touille la tasse qui lui fait face. Dans son dos, les notes étouffées d’un piano s’échappent de la salle. Calmement, la chanteuse-guitariste américaine fait les présentations de sa voix divine et décline poliment, mais fermement, les demandes de la photographe, présente pour immortaliser l'interview (demandes à laquelle elle accèdera finalement, de mauvaise grâce). Il faut dire que malgré son look néo-hippie bâclé et son pull à capuche informe, l’artiste de 27 ans cumule déjà plusieurs années de scène, deux albums et quelques collaborations de haut vol. La dernière étant ni plus ni moins qu'une association avec l'immense Bonnie "Prince" Billy. Au bout du couloir, le piano se tait abruptement, l'interview peut débuter.

Photos par Laura Morales

Je dois te faire un aveu. La première fois que j'ai écouté ta musique, c'était il y a quatre ans, juste après une rupture, et j'ai lâché quelques larmes…

Oh! C'est rare que des hommes m'avouent de telle chose. D'ailleurs, c'est drôle, mais j'écris plutôt des chansons lorsque je me sens forte et pas déprimée.

C'est donc un état d'euphorie qui t'as poussé à réaliser ton nouvel album?

Absolument. Je ne tenais pas forcément à attendre quatre ans pour l'enregistrer, mais il s'est produit certains événement qui ont forcé cette attente, comme l'arrêt des activités de ma maison de disque. Aussi, il est tout simplement difficile de gagner sa vie en faisant de la musique, alors j'ai dû me trouver un boulot pendant quatre ou cinq mois, avant de retourner en studio. J'ai fait beaucoup d'aller-retours entre la musique et différents emplois.

A part quelques jobs et l'enregistrement, qu'as-tu fait de tes quatre années?

Je suis partie en tournée durant presque deux ans. Les deux années restantes, j'ai travaillé dans les fermes écologiques de mes parents et de quelques amis. Durant cette période, je n'avais pas vraiment d'adresse. Avec mon copain Sean (qui est également son guitariste sur sa tournée, ndlr.), on s'est aussi offert un road trip à travers le pays pour rendre visite à des connaissances et se produire à quelques occasions sur la côte ouest.

Y a-t-il un moment qui t'as marqué durant ces quatre années?

C'est assez récent, mais ma participation à Occupy Oakland constitue vraiment un souvenir très fort. J'ai participé aux manifestations durant plusieurs mois, en organisant une cantine et en nourrissant les manifestants, face à la mairie de la ville. C'était vraiment un symbole d'être face à cet immense bâtiment, un vrai choc des cultures en fait. Je ne logeais pas sur le site lui-même, mais à proximité. Tous les jours, le matin dès neuf heures, jusque tard dans en soirée, j'y étais. Toute la nourriture provenait de donations et on cuisinait pour des dizaine sde personnes. Je n'avais jamais ressenti un pareil esprit de communauté. On vivait un peu comme un village. En fait, c'est assez marrant, mais j'ai toujours le sentiment d'y être. Je crois qu'une fois que tu participes à un tel mouvement, cela reste en toi pour toujours. Et cette expérience risque de peser dans mes prochaines compositions.

Peut-on s'attendre à de nouveaux titres à forte teneur politique, comme a pu le faire Bob Dylan ou d'autres artistes folk?

J'y pense, mais écrire de bonnes chansons à caractère politique, c'est très dur. Et, tellement d'excellents titres ont déjà été produits, c'est presque comme si tout avait été déjà fait. En fait, certains de mes morceaux ont déjà une portée politique, comme Two Tongues. J'y dénonce en quelque sorte les mensonges d'un pays, caractérisé dans le texte par un serpent. Cela reste très abstrait, mais l'idée est là.

Où avez-vous enregistré votre nouvel album, Gift for the End?

Tout s'est fait à Nevada City, où j'ai grandi. Dans le même lieu où j'ai réalisé mon premier disque. D'ailleurs, entre les deux, beaucoup de choses ont changé. Il y a quatre ans, je ne savais pas grand-chose de la musique, même si j'avais déjà écrit toutes mes chansons lorsque je suis entrée en studio. Alors que là, j'avais une idée assez précise du résultat et j'avais des attentes aussi. Durant ces quatre années, j'ai aussi eu l'occasion d'écouter beaucoup de musique, des choses très expérimentales, qui m'ont énormément ouvert l'esprit et donné de nouvelles pistes à suivre pour ma musique.

Tu as des exemples?

Cocteau Twins! C'est une très grande inspiration, depuis trois ans environs. Tout le traitement des voix et du son m'a profondément marqué. Je crois même que c'est l'un de mes groupes préférés. C'est fou, je n'ose même pas imaginer comment j'ai fait pour passer à côté de leur musique aussi longtemps. Et durant l'enregistrement, Enya tournait en boucle. J'aime beaucoup sa musique, mais alors vraiment beaucoup. Kate Wolf aussi.

Mais le titre très sombre de ton disque, cela n'a rien à voir avec ces groupes...

Le mystère revêt énormément d'importance à mes yeux. La mort en est un d'ailleurs et par ce titre, je voulais d'une certaine manière signifier que ce qui vient après la mort, ce n'est pas forcément horrible. Qu'il y a peut-être de la lumière dans les ténèbres. Comme peut le suggérer la couverture. En fait, il y a plein d'interprétations possibles.

Tu me fais peur. Es-tu régulièrement déprimée?

(rires) Je suis un peu fofolle en fait, mais toute une part de ma personnalité est très sérieuse et très empathique envers les personnes que je côtoie. Et si je devais trop souvent me réfugier dans cette seconde partie, je crois que finirais par péter un plomb. Mais je suis drôle aussi.

En tournée, vous devez vous marrer, non?

Cela dépend des jours et des personnes que je rencontre. Les gens avec lesquels je traîne sont tous un peu sarcastiques, mélancoliques, mais marrants au fond. Et sur la route, on ne s'envoie pas forcément des blagues, mais on a tendance à se marrer pour des trucs cons. C'est un humour vraiment étrange, je vois pas vraiment comment l'expliquer.

As-tu d'autres projets?

Je suis heureuse d'avoir enregistré mon album pour l'instant, mais j'ai aussi travaillé avec Will Oldham. Bonnie "Prince" Billy (elle murmure)… En fait, cela remonte à quelques années déjà, mais le disque doit sortir tout prochainement.

 

En bonus, Mariee Sioux offre de nous faire partager ses coups de coeur musicaux. Voici donc une mixtape en prime, juste pour toi, ami lecteur-des-articles-jusqu'au-bout.

Jeff Mangum (Neutral Milk Hotel) - Circle of Friends "C'est un tout vieux b-side, mais j'ai toujours la mélodie à l'esprit, car Jeff Mangum est un de mes songwriters préférés. Il s'est aussi produit à San Francisco, il y a quelques temps, mais je l'ai manqué, car j'étais en tournée. Dommage!"

Gillian Welch - Everything Is Free. "Ce titre est apparu dans une mixtape faite par Sean, que l'on a écouté dans le van, aujourd'hui. On a tous aimé."

Bill Callahan - Sycamore "Je sais plus vraiment de quel album est issue cette chanson, mais je l'adore!" (Woke on a Whaleheart, 2007, ndlr.)

Kate Wolf - Medicine wheel. "C'est tout simple, très triste, mais superbe."

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