Sonotone

Destroyer

"L'indie-rock n'est pas un médium sérieux."

par Simon Pinkas

J'ai eu la chance de discuter avec Dan Bejar, le cerveau à l'œuvre derrière Destroyer, avant qu'il monte sur scène à l'occasion du festival Nox Orae, le 14 août dernier. Nous avons parlé de son dernier disque, Kaputt, une œuvre au son quelque peu subversif, et qui a une fâcheuse tendance à diviser.

 

Kaputt est un changement de direction pour Destroyer, musicalement du moins. Qu'avais tu en tête lors de la conception de ce disque?

A vrai dire, je n’avais rien de particulier en tête. Mes morceaux me viennent naturellement. Je m’inspire souvent de musique que j’écoute sur le moment, et au moment d'écrire Kaputt, j’écoutais beaucoup de musique instrumentale pour la première fois de ma vie. Des classiques de jazz et des bandes originales de films. J’ai d’ailleurs toujours préféré le cinéma à toutes autres formes d’art, musique y compris. J’écoutais aussi beaucoup d'artistes avec lesquels j'ai grandi, de l’époque où j’ai commencé à m’intéresser à la musique.

Malgré cela, le tout a une certaine homogénéité...

Oui effectivement! Il y a eu un effort conscient pour avoir le même style de production du début à la fin, c'est d'ailleurs lapremière fois que j'essaie de faire un vrai disque pop, au niveau de la production en tout cas.

Est-ce que le son hi-fi et les textures présentes sur ce disque démontrent une sorte de volonté à accepter le rôle de chanteur pop?

Je ne sais pas... Ce son semblait simplement bien aller avec les morceaux, qui sont assez différents de ce que j'ai pu faire précédemment. Je me suis mis à chanter d'une façon plus douce et il fallait que les arrangements s'adaptent à cela. Après je ne crois pas que la production soit si hi-fi que ça..

...Mais encore?

Disons qu'il fallait créer quelque chose d'aéré, avec un large panel d'ambiances et de textures. C'était la chose la plus importante sur ce disque, plus que les prises vocales et même que les textes, une première pour Destroyer.

C'est intéressant que tu dises ça. En effet, là ou le changement de direction musicale est flagrant, les paroles et le style d'écriture m'ont semblés être assez conformes à ce que tu as fait par le passé.

Pour moi, écrire est quelque chose de très simple. Je m'inspire beaucoup de souvenirs, de rêves, de choses assez personnelles, de petites choses plutôt modestes. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai toujours eu la volonté de faire de la musique très immodeste (rires). L'écriture de Kaputt a été assez différente de mes autres disques. J'avais l'habitude d'écrire de façon très prolifique, et de coller un peu aléatoirement les paroles à la musique. Cette fois-ci, si mes paroles n'avaient pas de mélodie dés leur naissance, je les foutais à la poubelle.

Tu as donc été moins prolifique durant la conception de Kaputt?

Je n'ai jamais été aussi peu prolifique.

Y a-t-il une raison particulière à cela?

Je ne sais pas... Je m'y remets peu-à-peu. Mais Kaputt a pris au moins dix fois plus longtemps à créer que tous mes autres disques. Presque deux ans durant lesquels je n'ai rien écrit. Après les enregistrements, nous nous sommes immédiatement préparés à partir en tournée et à jouer ces morceaux en live. J'ai fait beaucoup de choses utilitaires.

David Berman (Silver Jews) a dit la chose suivante: "L'arrière plan est le principal aujourd'hui. Les groupes foutent beaucoup de couches instrumentales superflues, ce qui distrait du fait que tu n'as strictement rien à dire". Qu'en penses-tu? Te considères-tu toujours comme un artiste axé avant tout sur les textes, ou cela est-il en train de changer?

J'étais d'accord à 100% avec David Berman, pour la majeure partie de ma carrière... En fait, il a raison… Mais il a aussi eu raison d'arrêter de faire de la musique. D'une part, parce qu'il en avait envie. De l'autre, parce que j'arrive à la conclusion que l'indie-rock n'est pas un bon médium pour communiquer quoi que ce soit de sérieux. C'est une des différences entre Kaputt et les disques précédents de Destroyer, qui étaient ma façon d'infuser ce genre de musique avec des paroles sérieuses, et à force, j'ai réalisé qu'il s'agissait d'un concept totalement lacunaire et ne menant qu'à la frustration. Cette fois-ci, j'ai décidé d'utiliser ma voix comme un instrument de plus, plutôt que d'essayer de livrer un sermon.

J'ai l'impression que tu as été plus exposé dans les médias lors de la sortie de Kaputt que pour tes disques précédents. A quoi cela est-il dû?

Effectivement. Quelque chose s'est passé lorsque j'écrivais Kaputt, entre l'été 2008 et le printemps 2010: Beaucoup de groupes émergents ont commencé à être influencés par la radio-pop des années 80. Lorsque j'ai été interviewé par la presse anglaise après la sortie du disque, les journalistes m'ont un peu associé à cette espèce de Zeitgeist. Il s'agit d'une coïncidence et c'est la première fois que Destroyer se retrouve associé à une scène.

Grâce à toute cette presse, tu as beaucoup tourné en Europe cet été. Est-ce ta première grosse tournée en Europe?

J'en ai fait une il y a 6 ans avec un groupe qui s'appelle Frog Eyes...

...Probablement le groupe le plus sous-coté de ces 10 dernières années…

…Mais c'était très différent de la tournée que nous sommes en train de faire. Autant dire que c'était la galère.

Qu'as-tu prévu après la fin de la tournée?

Je vais rentrer à la maison, éviter les clubs de rock, essayer de vivre à un rythme normal et essayer d'écrire, peut-être pas que des chansons, on verra.

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