Catherine Ceresole
"Je rends aux artistes ce qu’ils donnent sur scène"
par Sophie Morceau
Par un bel après-midi de novembre, Sonotone a pu rencontrer Catherine Ceresole, photographe et témoin privilégiée des débuts de Sonic Youth, des Swans et des groupes new-yorkais qui peuplaient la Danceteria et la balbutiante Knitting Factory à l'aube des années 1980. Moment précieux s'il en fut, la rencontre a donné lieu à une conversation à bâtons rompus où ont été évoqués pêle-mêle le travail de Catherine, l'importance de la spontanéité et la simplicité des amitiés liées depuis trente ans. Sur la table, un carac et des croissants au jambon, des cendriers, des tasses de thé, des disques, des bouquins, et un enthousiasme débordant.
Partis à New York en 1981 avec l'idée d'aller voir Suicide sur scène et d'y passer les fêtes de fin d'année, Nicolas et Catherine Ceresole vont finalement y rester bien plus longtemps que prévu. Durant ce séjour, ils étudient à la NYU et à l'Institute of Audio Research, tout en arpentant les salles de concerts. Catherine prend des photos des performances auxquelles elle assiste, d'abord au flash, puis sans, sur les conseils avisés de Thurston Moore. Une belle amitié fleurit alors entre les Ceresole et Thurston Moore, avec lequel ils fondent le fanzine Killer, amitié étendue ensuite aux autres membres des Sonic Youth, des Swans, puis à toute la faune et la flore des nuits new-yorkaises. Catherine donne aux artistes les photos prises lors de leurs performances, tout d'abord pour leur rendre service, et qu'ils puissent les utiliser, toujours en la créditant, pour leurs supports, disques, photos de presse ou t-shirts. C'est comme ça qu'elle commence à se faire connaître dans le milieu.
Qu'est-ce qui t'intéresse, Catherine, quand tu prends des photos?
L'énergie! Le fait que les artistes se donnent à fond! Comme quand Disappears, par exemple, sont sur scène et donnent tout ce qu'ils ont dans le ventre. Ce n'est pas de faire une photo parfaite qui m'intéresse, mais l'instant, l'émotion, l'atmosphère, c'est restituer ce qui a rendu le moment où je prends la photo exceptionnel! Je reprends à mon compte ce que dit Michael Gira à propos de la musique: «Quand la musique part, le corps part aussi» et c'est ce que j'essaie d'illustrer, ce moment où on oublie tout, tant ce à quoi on assiste est bien.
Comment ces rencontres (avec Thurston Moore, Alan Vega, Michael Gira et bien, bien d'autres) se sont-elles faites?
Toujours au travers de la musique, comme les gens qui écoutaient ou s'intéressaient à ce genre de musique n'étaient pas très nombreux, ils se connaissaient tous un peu entre eux, donc il suffisait d'aller boire un pot quelque part, et en discutant avec untel qui nous présentait à ses amis, qui jouaient le lendemain soir quelque part, on rencontrait à nouveau d'autres gens qui partagaient nos intérêts musicaux. De fil en aiguille, on a vite rencontré de plus en plus de gens. Après, notre truc c'était de faire des bouffes ou des brunchs à la maison, je faisais des tortellini pour plein de monde sur nos deux petites plaques électriques, et tous ces gens qui se connaissaient de vue ont fini par partager bien d'autres choses. En fait, on s'est toujours très bien entendu avec les gens de qui on aimait la musique.
Dans l'exposition que tu présentes au Romandie, qu'est-ce que tu as voulu mettre en avant?
Le Romandie, c'est un club rock, j'ai donc voulu y mettre de l'action. De toute façon, je ne fais pratiquement pas de photos posées, faire s'asseoir des gens dans la lumière, très peu pour moi. C'est donc une sélection de photos de live, qui restituent justement cette collection de moments uniques. Quand je revois les photos, j'entends la musique sur laquelle elles ont été prises. J'ai toujours voulu donner quelque chose aux artistes, c'est ma façon de le faire. Du coup, à chaque fois que des artistes utilisent mes photos, c'est un compliment.
La légende veut que tu n'arrives pas à prendre de photos si tu n'es pas touchée par ce qui se passe sur scène, c'est vrai?
Catherine: Tout à fait! Premièrement, je n'ai pas envie de prendre de photos s'il ne se passe rien sur scène. Ensuite, on me demande souvent en soirée si ça va, si je suis contente des photos que j'ai prises. En réalité, la vraie question qu'il faut me poser c'est si le concert m'a plu. Si le concert m'a plu, je sais que mes photos vont être bonnes, mais comme je travaille en argentique, je passe plus de temps à me dire «Ah, si celle-là sort bien, elle va être géniale» qu'à calculer mes effets. C'est vraiment une démarche très spontanée.
Qu'est-ce qui a changé, maintenant que plein de gens sont intéressés par ton travail, et pas juste ton entourage?
La pression quand je prends des photos !